Informations concernant l’éventuelle extension de la plateforme Salduzweb aux interprètes.
Serez-vous toujours autant convoqué à des interrogatoires de police à partir de 2024 ? Ou vous proposera-t-on plus de missions qu’aujourd’hui ? En quoi consiste l’application « Salduzweb » ? Quelles sont les conséquences ou objections possibles si le système est étendu aux interprètes ? Et qui va payer pour cela ? Vous pouvez lire tout cela dans ce rapport exhaustif dressé à la suite d’une concertation entre l'UPTIJ et la CBTI.
Le 23 janvier 2023, des administrateurs de l‘Union professionnelle des traducteurs et interprètes jurés et de la Chambre belge des traducteurs et interprètes ont eu une réunion avec Michel Beaucourt, responsable ICT et chef de projet pour l’application « Salduzweb », et ce depuis 2012. Il procède actuellement à une analyse fonctionnelle en vue de renouveler l’application. Sur la base de sa présentation et d’une série d’autres sources, nous avons rédigé le présent rapport commun pour informer nos membres et le groupe professionnel des interprètes jurés.
- L’opinion des TIJ eux-mêmes
- La « permanence Salduz » et l’application « Salduzweb » : introduction
- Vers une application « Salduzweb » rénovée
- La « permanence Salduz » et l’application « Salduzweb » dans la pratique
- Autres aspects soulevés lors de la réunion du 23 janvier 2023
- Volontaire ou obligatoire ? Le cadre légal décrit
- Qu’en est-il de la différence d’horaires de nuit et de week-end entre les avocats et les interprètes ?
- Le financement
- La gestion d’une application de permanence pour les interprètes par une société commerciale est-elle souhaitable ?
- Quelques réserves
1. L’opinion des TIJ eux-mêmes
Nous avons tenté ci-dessous d’expliquer le fonctionnement, les avantages et les inconvénients du système de « permanence Salduzweb » pour les interprètes. Nous avons rappelé le cadre juridique et émis quelques réserves. Cette réflexion est notamment le fruit d’une concertation entre organisations professionnelles. Cependant, nous sommes également désireux de connaître les réactions et les opinions de nos membres et de nos collègues TIJ. Nous attendons donc vos réactions à l’adresse contact@bbvt.be
2. La « permanence Salduz » et l’application « Salduzweb » : introduction
À la suite de l’arrêt Salduz de la Cour européenne des droits de l’homme (28 novembre 2008), la Belgique a dû adapter la procédure pénale. Après la publication de la loi du 13 août 2011 au Moniteur belge, il restait moins de quatre mois pour organiser en pratique l’assistance obligatoire d’un avocat. Depuis le 1er janvier 2012, la permanence Salduz est organisée par le biais de l’ « application Salduzweb ». Cette application est une initiative de l'Ordre des Barreaux flamands (Orde van Vlaamse Balies – OVB).
La description de cette permanence, les critères de qualité auxquels elle doit répondre, de même que son financement ont fait l’objet d’un protocole, conclu entre le ministre de la Justice et les ordres, qui décrit l’application web comme « un service permettant de contacter de la façon la plus rapide possible, dans le délai maximal de 2 heures imposé par la loi, un avocat qui se chargera de la consultation et de l’assistance en faveur de l’inculpé privé de sa liberté comme défini dans la loi du 13 août 2011, ce sur la base d’un schéma de procédure convenu entre les acteurs. La permanence sera organisée de manière à ce que la prise de contact se déroule de la façon la plus automatisée possible et le plus rapidement possible en faisant usage des moyens de communication modernes, étant entendu qu’un call center demeure disponible pour les incidents et les problèmes techniques. ».
La loi du 21 novembre 2016 (Salduz+) a encore étendu le nombre de cas dans lesquels le contact avec l’avocat doit se faire via l’application web et oblige tous les acteurs de la pratique à utiliser l’application. Cette loi a également introduit un nouvel alinéa à l’article 495 du Code judiciaire : « L'Ordre des Barreaux flamands et l'Ordre des Barreaux francophones et germanophone organisent le service de permanence visé aux articles 2bis, §2, et 24bis/1 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention provisoire de manière à permettre de contacter un avocat dans les plus brefs délais, en utilisant les moyens de communication modernes, en gardant trace des différents contacts des usagers. Une allocation annuelle imputée au budget général des dépenses de la section 12 est prévue pour les frais de fonctionnement nécessaires à l'exécution de cette mission. Le Roi détermine les autres modalités de sa mise en œuvre. »
Ainsi, le législateur a chargé l’Ordre des Barreaux flamands et l’Ordre des Barreaux francophones et germanophone d’organiser l’application « Salduzweb » et ils ont dès lors peaufiné l’application, la mettant en conformité avec les nouvelles exigences de la loi Salduz+. Une tâche pour laquelle ils peuvent compter sur des subventions fédérales, ces dernières années, dont les modalités ont été fixées dans l’AR du 28 novembre 2018. Vous en apprendrez davantage à ce sujet dans la rubrique consacrée au financement.
« Salduzweb » est utilisé par la police, les juges d’instruction, les douanes et accises pour trouver un avocat qui les assistera lors de l’interrogatoire d’un suspect (catégorie 4 avec privation de liberté et catégorie 3 sur invitation).
Un avocat qui souhaite participer peut s’inscrire pour la permanence et/ou choisir d’être appelé pour ses propres clients. Les avocats qui souhaitent participer à la permanence ont les possibilités suivantes :
- le choix des zones de police pour lesquelles l’avocat souhaite être appelé ;
- la gestion de l’agenda avec des blocs de temps ;
- si l’avocat est spécialisé en droit de la jeunesse, il peut choisir de n’intervenir que pour les mineurs.
3. Vers une application « Salduzweb » rénovée
En 2011-12, le travail a dû être fait rapidement. L’application a maintenant 11 ans et les responsables de l’OVB souhaitent passer à une plateforme actualisée, utilisant les nouvelles technologies telles que l’IA. On prend désormais plus de temps pour consulter les parties prenantes. Au cours de ce processus, la police, les avocats, le SPF Justice et le cabinet du ministre de la Justice ont tous exprimé le souhait d’inclure désormais un module de recherche et d’appel d’interprètes dans l’application.
L’idée n’est pas nouvelle en soi. Elle a déjà été recommandée par le passé, notamment dans le rapport « Loi Salduz+ : Évaluation qualitative 2017-2018. Évaluation réalisée par le Service de la Politique criminelle » du SPF Justice :
« Recommandation 14 : Prévoir une seule et même application pour la recherche d’un avocat et d’un interprète via l’application web par exemple.
Pour gagner du temps dans la recherche, tant de l’avocat que de l’interprète, et par là même pour toute la procédure, il pourrait être intéressant qu’une seule et même application serve de canal de recherche. Les acteurs de terrain sont fortement partisans de cela. La solution pourrait être d’utiliser également l’application web pour rechercher un interprète. Les gestionnaires de l’application web confirment qu’il est techniquement possible d’adapter l’application en ce sens à condition qu’ils aient accès à un registre national officiel d’interprètes ce qui n’est pas encore le cas. »
4. La « permanence Salduz » et l’application « Salduzweb » dans la pratique
4.1. Introduction
Un suspect qui doit être interrogé et qui a un avocat fixe, peut demander que ce dernier soit appelé. Dans la majorité des cas, cependant, il n’y a pas d’ avocat choisi et il est recouru au service de permanence. Une application en ligne permet à la police d’introduire à toute heure de la journée un nouveau dossier dans lequel une mission d’assistance lors d’un interrogatoire est proposée dans un certain ordre (aléatoire) aux avocats figurant sur la liste de permanence. Lors de la sélection, le système tient compte, entre autres, de la langue principale de l’avocat, des autres langues qu’il maîtrise, du besoin éventuel d’un avocat spécialisé en droit de la jeunesse, ainsi que des périodes et des zones de police pour lesquelles les avocats ont indiqué leurs disponibilités. Tout d’abord, les avocats du barreau dans lequel se trouve la zone de police sont contactés. Les avocats sont contactés successivement par un système IVR. Le premier d’entre eux qui accepte la mission est censé se rendre au commissariat de police concerné dans les deux heures pour la concertation et l’interrogatoire confidentiels qui suivent. Pour déterminer l’ordre dans lequel les avocats sont appelés, le système regarde qui a été appelé le plus loin dans le passé. Cela devrait permettre à chacun d’avoir une chance.
4.2. Comment un avocat est-il contacté par le service de permanence ?
4.2.1. Par téléphone
Le service de permanence automatisé appelle les avocats jusqu’à ce que l’un d’eux accepte la mission. Dans le cas des suspects majeurs de catégorie 4, la recherche d’un avocat s’arrête après 2 heures et le numéro d’urgence de l’ordre des avocats est alors contacté.
Chaque barreau a la possibilité de donner la priorité à ses propres avocats lorsque l’interrogatoire a lieu dans une zone de police établie sur son territoire. Les avocats du barreau dont l’arrondissement couvre la zone de police en question sont contactés en premier lieu (par une voix automatisée). Le système vise à répartir les tâches de manière équitable.
Quand un avocat répond à l’appel, il peut :
- accepter l’affectation en appuyant sur 1 ;
- refuser l’affectation en appuyant sur 2 ;
- réécouter le message en appuyant sur une touche autre que 1 ou 2 (3).
Si l’avocat ne souhaite pas répondre à l’appel, il existe les options suivantes :
- il laisse le téléphone sonner jusqu’à ce qu’il tombe sur la messagerie vocale : l’historique montre que l’avocat n’était pas disponible ;
- l’avocat rejette l’appel entrant en appuyant sur « stop » ou sur le « combiné/bouton rouge » : l’historique indique qu’il n’a pas pu être joint.
Lorsqu’un avocat accepte la mission, il est immédiatement mis en relation avec le verbalisant afin qu’il puisse prendre les dispositions pratiques. Cela s’applique aux interrogatoires de catégorie 4 et aux interrogatoires d’assistance immédiate de catégorie 3.
4.2.2. Par SMS
- Lorsqu’un avocat a accepté une mission, il reçoit un SMS contenant tous les détails nécessaires, tels que le numéro de l’affaire et les coordonnées de la personne à contacter.
- Lorsque, après une concertation à distance, le suspect confirme qu’il ne souhaite plus d’assistance pendant l’interrogatoire, l’avocat reçoit un SMS indiquant que l’affaire est clôturée.
4.2.3. Par e-mail
Lorsqu’un avocat a accepté la mission, il reçoit un e-mail contenant tous les détails nécessaires, tels que le nom du suspect, le numéro de l’affaire et les coordonnées de la personne à contacter.
4.3. Spécifier la disponibilité en termes de périodes de temps
Les avocats peuvent saisir la période pendant laquelle ils souhaitent participer à la permanence. Cela peut être quelques heures ou une journée entière, mais aussi une période plus longue. Il est possible de s’inscrire par blocs de 3 ou 4 heures ou par blocs de 12 heures.
4.4. Disponibilité des listes par zones préférées (zones de police)
Les avocats peuvent indiquer dans l’application les zones de police dans lesquelles ils souhaitent apporter leur aide pendant l’interrogatoire. Ils ne doivent pas se limiter aux zones de leur propre arrondissement (barreau).
Un avocat qui souhaite vérifier le nombre de confrères déjà inscrits pour une zone de police spécifique à une date donnée peut utiliser « disponibilité par zone de police » dans le menu pour obtenir un aperçu du nombre d’inscriptions par jour et pour les 14 jours suivants. Cette recherche affiche un tableau des enregistrements de la journée par zone de police et par heure. Un avocat peut même voir qui est inscrit à une date et à une heure données.
4.5. Écran détaillé du dossier
Dans cette page de détails, l’avocat trouve le lieu de l’interrogatoire et les coordonnées du service qui mène l’interrogatoire.
5. Autres aspects soulevés lors de la réunion du 23 janvier 2023 :
M. Beaucourt a indiqué que si le système ne parvenait pas à trouver un interprète pour une mission particulière, la police pouvait toujours en chercher un par d’autres voies.
M. Beaucourt a laissé entendre qu’il serait possible d’intégrer les réquisitions (confirmation des prestations fournies) dans le système. Cela permettrait de numériser et d’uniformiser les réquisitions papier existantes. Cela pourrait faciliter le travail administratif de la police et des interprètes eux-mêmes. Selon les organisations professionnelles, il convient d’examiner si cela pourrait être relié à JustInvoice ou à d’autres solutions du SPF Justice.
Il pourrait être envisagé de prévoir, dans l’application, la possibilité d’appeler le même interprète pour les dossiers en cours (réauditions). Il convient également d’en examiner l’opportunité.
M. Beaucourt souhaite être en mesure de fournir une estimation budgétaire à la Justice d’ici mars 2023. Nous l'avons questionné sur le timing de lde l’éventuelle implémentation de la nouvelle application. M. Beaucourt a suggéré le début de 2024. Toutefois, cela dépend des budgets. Une analyse doit également être effectuée en vue d’éventuels marchés publics.
En termes de coûts, le renouvellement comporte trois aspects : (1) L’aspect renouvellement. (2) L’aspect des coûts opérationnels. (3) Et enfin, l’aspect évolution, la poursuite de l’évolution de l’application.
Les organisations professionnelles ont demandé si cette application pourrait être utilisée à plus grande échelle à long terme. Par exemple, pour convoquer des interprètes aux audiences des tribunaux. Selon M. Beaucourt, cela serait en principe possible. Les organisations professionnelles ont immédiatement fait remarquer que l’on ne pouvait certainement pas l’appliquer à tous les dossiers qui ne relevaient pas du droit pénal. Après tout, dans les affaires civiles, les parties doivent trouver, engager et rémunérer elles-mêmes un interprète.
Les organisations professionnelles ont également demandé si un formulaire d’évaluation pouvait être intégré à l’application de permanence. Cela semble être possible, si nous le souhaitons.
Il a également été demandé si une contribution financière était attendue des interprètes (le secteur ou les interprètes individuels) eux-mêmes. Cela ne semble pas être le cas.
M. Beaucourt a à son tour demandé aux organisations professionnelles si elles étaient favorables à un tel système.
La réponse adressée à M. Beaucourt fut que, contrairement aux avocats, il n’y a aucune obligation pour les praticiens d’adhérer à un ordre ou à un institut parapluie pour exercer la profession. La majorité des personnes inscrites au Registre national des interprètes jurés ne sont affiliées à aucune association. Si les organisations professionnelles peuvent donner un avis au nom de leurs propres membres et du secteur, aucune d’elles ne peut atteindre tous les interprètes jurés. Nous ne disposons pas non plus des coordonnées de toutes les personnes inscrites au Registre national.
6. Volontaire ou obligatoire ? Le cadre légal décrit
Interrogées sur le caractère volontaire ou non de cette participation éventuelle à l’application « Salduzweb », les organisations professionnelles ont rappelé la législation existante :
L’article 555/9 du Code judicaire dispose en effet que les personnes physiques qui sont inscrites au registre national des experts judiciaires et des traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés ont les obligations suivantes
1° se tenir à la disposition des autorités judiciaires pour ce qui concerne les experts judiciaires ou des autorités pour ce qui concerne les traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés qui peuvent faire appel à leurs services. (...)
L’article 555/16 du Code judicaire dispose que les experts judiciaires peuvent décider de ne pas accepter une mission. En matière civile, les traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés peuvent refuser une mission.
L’ensemble de ces deux dispositions implique qu’en vertu de la législation en vigueur, les interprètes et traducteurs-interprètes jurés ont l’obligation de se tenir à la disposition des autorités qui pourraient faire appel à leurs services et que, en matière pénale, ils ne peuvent en principe pas refuser des missions. Toute audition Salduz ou toute audition devant un juge d’instruction est, par définition, une mission en matière pénale. Si l’application « Sadluzweb » ne devra être utilisée que pour les interprètes qui s’inscrivent volontairement à la permanence et que les autres n’y participent jamais ou rarement, un changement de la loi semble être imminent. Sinon, la loi sera contournée de façon systématique.
Cela devrait au moins être discuté avec les services compétents du SPF Justice et le cabinet du ministre de la Justice.
7. Qu’en est-il de la différence d’horaires de nuit et de week-end entre les avocats et les interprètes ?
Avec l’expansion possible de l’application « Salduzweb » pour les interprètes, cette question est plus que jamais d’actualité. Les avocats ont des points doubles en semaine de 19 h à 7 h. Ils ont aussi des points doubles le samedi en journée pour un Salduz. Les interprètes et leurs associations professionnelles vont-ils continuer à accepter cette discrimination de la part du SPF Justice si on leur demande d’adhérer au même système de permanence que les avocats ?
On peut également se référer à ce passage de l'avis du Conseil Supérieur des Indépendants et des PME (CSIPME) du 11 octobre 2017 sur les principes à appliquer aux prestations des traducteurs / interprètes jurés : « En outre, le Conseil Supérieur estime que si la Justice attend des traducteurs et interprètes jurés qu’ils doivent donner priorité à ses missions et être constamment mobilisables, il appartient aux autorités de veiller à ce qu’une correcte indemnisation de leurs prestations leur soit octroyée ainsi que prévoir des honoraires couvrant leur disponibilité dans un système de service de garde la nuit et durant le week-end organisé comme c’est le cas pour les médecins. »
8. Le financement
L’application « Salduzweb » était et est donc une initiative de l’Ordre des Barreaux flamands qui a également préfinancé le tout. Fin novembre 2014, l’OVB et les barreaux flamands respectifs ont créé la SCRL Diplad, la filiale informatique de l’OVB, une société dont l’objectif principal (selon l’acte constitutif) est « l’élaboration et l’organisation du traitement de l’information, de la gestion des données et du transfert des données, tant entre les avocats, entre les avocats et leurs organisations professionnelles, qu’entre les avocats et les tiers, dans le cadre des missions assignées aux ordres locaux des avocats, à leurs organisations faîtières et aux avocats en général ».
En dehors de la gestion de l’application « Salduzweb », la SCRL Diplad est également impliquée dans la carte électronique d’avocat, la section privée (plateforme protégée pour tous les avocats flamands), DPA-deposit (plateforme d’échange entre les avocats et les tribunaux) et RegSol (plateforme qui numérise l’échange de données entre les acteurs d’une faillite).
Diplad SCRL n’est pas une ASBL, mais une entreprise commerciale. Une société a pour but de réaliser des bénéfices et doit les distribuer ou les mettre en réserve au profit de ses associés (en l’occurrence, les barreaux flamands). En revanche, la sollicitation ou plutôt la « réquisition » d’interprètes pour les interrogatoires de police ou les interrogatoires devant le juge d’instruction, devrait être un service public. La question peut être posée ici pour savoir si cette tâche peut et doit être confiée à une entreprise privée.
En examinant les derniers comptes annuels de Diplad SCRL, il apparaît que la société est déficitaire.
D’autre part, l’arrêté royal du 28 novembre 2018 portant exécution de l’article 495, alinéa 3, du Code judiciaire prévoit une allocation annuelle sous forme de subvention, à charge de la section 12 du budget général des dépenses pour les coûts d'exploitation nécessaires à l'exécution de la « permanence Salduz ». Jusqu’à présent, les montants suivants de l’allocation annuelle étaient accordés par AR :
- pour 2018 : 833 000 € ;
- pour 2019 : 507 231 € ;
- pour 2020 : 599 400 € ;
- pour 2021 : 599 400 € ;
- pour 2022 : 800 000 €.
Soit une subvention totale de 3 339 031 € accordée à l’OVB pour le fonctionnement de la « permanence Salduz ».
9. La gestion d’une application de permanence pour les interprètes par une société commerciale est-elle souhaitable ?
Un autre aspect est la gestion et l’organisation d’un système de permanence et de convocation. Il n’existe qu’une seule source authentique pour les interprètes et traducteurs-interprètes jurés, à savoir le Registre national. L’article 555/10, § 1er du Code judicaire dispose que le registre national des experts judiciaires et des traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés est géré et actualisé en permanence par le Service Public Fédéral Justice. Les interprètes inscrits peuvent être suspendus ou radiés du Registre national du jour au lendemain, pour ainsi dire. Encore une fois, le service du Registre national du SPF Justice est le seul service habilité à assurer ce suivi.
Comme l’a indiqué l’Organe de contrôle de l’information policière dans un avis daté du 7 septembre 2021, « en ce qui concerne les traducteurs et interprètes jurés, l'accès des services de police au registre des traducteurs et interprètes jurés, est en effet prévu par la loi et dans la pratique, ce sont généralement les services de police eux-mêmes qui désignent les traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés . Cet accès permettra aussi aux services de police de trouver plus aisément un interprète juré auquel faire appel, et donc de mettre définitivement un terme à la pratique (ancienne) qui consiste à utiliser des listes (anciennes) propres à la police ou des listes locales du Procureur du Roi ».
Ces dernières années (début 2020), la police elle-même a également développé sa propre « Power App » pour la recherche d’interprètes, sur la base des listes Excel du Registre national. Il conviendrait pour le moins d’interroger les services compétents du SPF Justice et du cabinet du ministre de la Justice, de préférence également avec des représentants de la police fédérale et de la police locale, sur la manière dont cet accès est actuellement organisé pour la police (un accès direct à la base de données du Registre national en temps réel est-il déjà prévu pour chaque policier dans chaque service de police/zone ?) Il convient également de vérifier si l’application de police continuera d’exister si un nouveau système d’appel devait être créé (par l’OVB via « Salduzweb », supervisé par le service du RN, par le RN lui-même…). Il faudra éviter une prolifération de différents systèmes parallèles. On peut également s’interroger sur l’opportunité de créer une autre base de données parallèle.
Incidemment, le précédent ministre de la Justice, Koen Geens, a déclaré en réponse à une question parlementaire de 2016 de Stefaan Van Hecke, publiée en novembre 2016 : « Lors d'une phase ultérieure de développement, il y aura la possibilité de connecter au registre national une sorte de service de garde ou une indication de disponibilité. Cela sera possible lorsque l'application aura atteint sa vitesse de croisière. »
En 2019, Jan Bogaert, alors directeur général de l’OJ, a cependant informé un des administrateurs de l’UPTIJ que cela n’a rétrospectivement plus été considéré comme une priorité parmi les nouvelles modifications informatiques de la base de données du RN en raison… d’un manque de moyens. Se pose à nouveau la question de savoir s’il n’appartient pas plutôt au SPF Justice d’introduire lui-même ces données dans le Registre national ? Et peut-on trouver les ressources suffisantes et le savoir-faire nécessaire pour cela ?
10. Quelques réserves
Pour rappel, selon l’article 555/10, § 2 du Code judiciaire, le Registre national contient les données suivantes :
1° le nom, le prénom et le sexe de l'expert judiciaire, du traducteur, de l'interprète ou du traducteur-interprète juré;
2° les coordonnées permettant aux autorités qui peuvent faire appel à ses services de le joindre;
3° b) pour ce qui concerne le traducteur, l'interprète ou le traducteur-interprète juré, la ou les langue(s) de la procédure choisie(s) et la ou les autre(s) langue(s) pour la ou lesquelle(s) il s'est fait enregistrer;
4° les arrondissements judiciaires dans lesquels il est disponible;
5° le numéro d'identification de l'expert judiciaire, du traducteur, de l'interprète ou du traducteur-interprète juré;
6° la date de l'inscription, de la prolongation, de la suspension et de la radiation;
7° le spécimen déposé de la signature visé à l'article 555/14, § 3 ;
On peut être inscrit au Registre en tant que traducteur juré (non pertinent en l’espèce), en tant qu’interprète juré ou en tant que traducteur-interprète juré. Le Registre national et la législation ne prévoient pas de spécialités telles que l’interprète juré spécialisé dans le droit des mineurs. Par conséquent, une application web ne peut pas inclure des spécialités pour les interprètes et traducteurs-interprètes jurés. Les combinaisons linguistiques pour lesquelles on prête serment (en tant qu’interprète) sont bien sûr cruciales.
Dans le Registre national, on ne peut s’inscrire en tant qu’interprète et traducteur-interprète que pour des arrondissements entiers. L’application « Salduzweb » destinée aux avocats permet de privilégier des zones de police. Si les interprètes avaient eux aussi la possibilité de limiter leurs interventions à certaines zones de police (et non aux arrondissements), les chances de trouver des interprètes seraient peut-être plus élevées. Mais cela peut aller à l’encontre de la législation actuelle.
Qu’en est-il des traducteurs-interprètes qui sont également des policiers actifs ou des CALog dans leur profession principale ? Ils ne peuvent pas être identifiés comme tels dans le Registre national. Peuvent-ils également être inclus dans le système de « permanence Salduz » et devront-ils alors également faire office d’interprètes lors de la concertation confidentielle préalable couverte par le secret professionnel de l’avocat ? Quelle est la position de l’OVB et de l’OBFG à ce sujet ?
La même question peut être posée à l’égard des avocats qui sont également inscrits au Registre national en tant qu’interprètes jurés. Ils pouvaient s’inscrire pour les deux permanences, en tant qu’avocat et en tant qu’interprète. Que se passe-t-il s’ils sont contactés à ces deux titres par le même système d’appel ? Lequel doivent-ils privilégier ? Quelles sont alors les règles déontologiques qui priment ? Cela soulève de nombreuses questions qu’il est préférable d’aborder et de clarifier à temps pour éviter les mauvaises pratiques et les erreurs de procédure.
Une autre question importante : les organisations professionnelles soulignent qu’il faut éviter que ne se crée un commerce des missions reçues par le biais d’un tel système et que certains interprètes ne décrochent des missions dans l’unique but de les mettre ensuite à la disposition d’autres interprètes – que ce soit à titre onéreux ou gratuit. L’intention ne peut être de sous-traiter le travail. Les réquisitions des interprètes sont en principe individuelles. Nous l’avons également lu dans le rapport au Roi accompagnant l’AR du 15 décembre 2019 : « La demande d'aide à un tiers sans autorisation préalable du requérant est contraire à l'esprit de la loi, qui est basée sur le choix de l'expert comme une personne spécifique avec des connaissances et une expérience bien déterminées, et éventuellement aussi une réputation. Pour cette raison, il est dorénavant interdit pour toutes les désignations « intuitu personae ». Enfin, les mêmes règles sont valables pour les interprètes. Eux aussi sont choisis sur la base de leurs caractéristiques propres ». En désignant les interprètes par un système d’appel automatisé, le choix des interprètes sur la base de leurs caractéristiques propres disparaîtra complètement.